L’autoroute du Sud (Julio Cortazar, recueil « Tous les feux le feu »)

 

Une nouvelle célèbre de Cortazar : l’embouteillage sans fin.

Y sont cristallisées toutes les situations propres à l’impossibilité de quitter rapidement la scène, l’interdiction de quitter son véhicule, la sensation de temps suspendu …

Sauf que le fantastique succède au burlesque, jusqu’à isoler les automobilistes piégés dans une société autoroutière alternative.

L’embouteillage

« Tout le monde pouvait regarder sa montre mais c’est comme si ce temps attaché au poignet mesurait autre chose, par exemple le temps de ceux qui n’avaient pas fait la bêtise de vouloir rentrer à Paris par l’autoroute du Sud un dimanche après- midi et qui n’avaient pas dû, dès après Fontainebleau, se mettre au pas, s’arrêter, six files de chaque côté (on sait que les dimanches l’autoroute est réservée exclusivement à ceux qui rentrent à Paris) […]. »

Celle de la Dauphine, immobilisée près de l’ingénieur de la 404, n’a aucun passe-temps. Ils n’ont pas compté les heures, et ne savent donc pas combien dure cet embouteillage.

L’auteur indique, dès le début, que la file allant en sens opposé est elle- même mobilisée pour réduire l’embouteillage.

Aussi, les personnages sont coupés du monde extérieur. Il n’ont de nouvelles que via les radios, mais aucun automobiliste ne peut venir de Paris, en sens inverse, et au passage leur permettre d’en savoir plus sur l’avancée de la situation.

Car cette possibilité est ôtée d’emblée.

Les personnages

L’ingénieur de la peugeot 404 est le personnage principal. Son environnement, ce sont 8 voitures, dont on découvre au fil des pages l’aspect et la raison d’être bloqué sur cette route.

L’ensemble des automobilistes est réduit en groupes par l’éloignement des véhicules, aucun ne pouvant réellement s’éloigner de son véhicule.

L’embouteillage est mystérieux : les seules informations ne sont que suppositions d’automobilistes voisins, ou fruits de rumeurs colportées le long de l’embouteillage de proche en proche.

La circulation n’étant pas bloquée tout à fait, les conducteurs se trouvent dans une situation grotesque :

  • si la circulation était arrêtée, ils n’auraient qu’à quitter leur auto et gagner, à pied, une ville de province, quitte à revenir récupérer leur auto dès que les autorités auraient annoncé la réouverture de la route;
  • si la circulation était plus fluide, ils pourraient assez vite se rapprocher de Paris, qui n’est pas bien loin.

Cependant, ils sont pris en otage, ne pouvant ni s’éloigner de leur auto, ni profiter de la vitesse du véhicule. Ils sont dans un huis clos de fait, à ciel ouvert, au milieu de la foule!

Recherche de cause

Très vite, les conducteurs sont assaillis régulièrement de rumeurs quant à l’origine du blocage. Aucune nouvelle n’est relayée sur la radio. La nuit tombe, alors que les radios cessent leur émission, et que la seule disponible ne parle que d’économie!

La nouvelle est parue dans les années soixante. Autant dire qu’il n’y a ni téléphone portable, ni internet, ni radio routière en continue, ni messages routiers d’information en direct.

Les personnages sont donc plongés, dans la nuit, et dans le mystère, forcés à dormir dans leur auto, sans savoir pour combien de temps.

Alimentation

La solidarité finit par s’installer, lorsque la soif tenaille les enfants, puis d’autres. Une mise en commun du stock, puis une stratégie pour obtenir de l’eau s’instaurent dans le groupe.

De même, ils organisent la santé (un médecin, lui aussi pris au piège, parcourt les files de véhicules), et le repos (choix des voitures en fonction du confort nécessaire selon l’état de la personne).

Organisation

Partout se constituent des groupes d’automobilistes, rassemblés par la proximité de leurs autos.

Certains font des échanges d’eau contre nourriture avec d’autres groupes, et des conducteurs se rassemblent pour aller explorer les campagnes des environs en quête d’information et de nourriture à acheter.

Un monde à part

Cependant, les caractéristiques du huis clos se mettent en place :

  • les paysans des alentours craignent que les conducteurs soient des agents de la répression des fraudes déguisés, et refusent de leur vendre leurs produits. ( à l’époque, peut- être que la vente de gré à gré  était interdite).
  • les expéditions suivantes seront réprimées par la violence, les riverains leur lançant des pierres pour les empêcher de traverser les murs isolant l’autoroute.

Après le déroulement de la journée, et que le public se soit habitué à l’idée de dormir sur la route, le temps semble s’accélérer, comme si la situation avait été normalisée par le monde extérieur, ou qu’ils avaient été oubliés.

Ainsi l’été s’achève, jusqu’à ce que l’hiver arrive.

Changement de dimension

Tous ne supportent pas cette situation qui s’éternise, au fil des mois :

  • certains meurent de maladie, ou à cause des conditions de vie,
  • d’autres se suicident.

La question de la mort est évacuée par le froid, qui permet de conserver le corps du mort … dans le coffre- même de sa voiture!

De même, dans cette société autoroutière, il convient d’avancer les autos sans cesse, ce qui est possible grâce aux autres passagers des autos, qui prennent les places de conducteur laissées par les défunts.

Le trafic de nourriture et d’eau est facilité par un receleur déshumanisé, appelé du nom de son véhicule (Ford Mercury puis Porsche).

L’argent est toujours en cours, et on peut se demander comment il ne vient pas à manquer au fil des saisons.

De même, chaque personnage finit par être dénommé par le nom de son véhicule.

Cette situation inhumaine semble se justifier et résister à l’absence de changement du fait qu’une partie de leur humanité leur a été ôtée.

Ainsi tout devient supportable, puis acceptable, puis banal.

Et comme la mort a été si vite réglée, de même que les besoins naturels (en bordure d’autoroute), l’annonce d’une future naissance parait tout à fait envisageable!

Fin d’embouteillage

« Vers le matin, Dauphine lui dit à l’oreille qu’avant de se mettre à pleurer il lui avait semblé voir, au loin sur la droite, les lumières d’une ville. »

Bloqués dans le froid de l’hiver, les lumières de la ville redonnent espoir, bien qu’elles semblent n’être qu’un fantasme causé par la brume.

Puis les files commencent à bouger, de plusieurs mètres. L’ingénieur de la 404 est d’abord étonnée, avant de comprendre que la Dauphine s’éloigne inexorablement, malgré les liens les unissant, comme si le destin les séparait désormais.

Le groupe se disloque alors, et l’ingénieur voit ses anciens compagnons dériver avc le flot des véhicules jusqu’à en perdre trace à l’entrée de Paris.

Nostalgie

Ce n’est qu’en toute fin que l’ingénieur comprend ce qu’il a perdu : la proximité.

Il est enfin libre, de revenir à Paris, où il sera de nouveau seul et isolé.

Ce qui devrait être une récompense est volé, comme si le meilleur c’était cet enfer coupé du monde, où ils étaient solidaires.

Mon avis

Nouvelle qui s’apparente plus à un roman condensé, L’autoroute du Sud est mue par un rythme.

Le temps est absent dès le début, les personnages sont livrés dans cette situation, sans dire un mot de la durée initiale.

Quand le huis clos s’installe, le temps aura au préalable défilé,jusqu’à l’hiver, qui les isole du monde extérieur car dès lors il n’y a plus de visibilité, les distances sont floutées, le temps se suspend.

C’est alors une nouvelle qui discute de l’organisation des personnages dans cette situation, intemporelle.

Puis, alors que tout semble amené à s’éterniser, le temps se remet en marche, la route se dégage, et avec elle s’achève la raison d’être de la nouvelle, en quelques pages toute la tension qui aurait dû s’accumuler s’exprime par une frénésie des autos à dévaler la route.

A propos Erick

Diététicien, INFP, yogi coincé, coureur amateur. Buts: écrire mieux, donner du sens à chaque expérience en organisant par écrit mes impressions !
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